Denise Escande - Article Alpi-Rando sur Denise
Chamonix cimetière

Témoignages sur Denise Escande

Fin d'été 2007, des grimpeurs que je ne connais que de nom m'envoyent leur témoignage ou des photos sur Denise. C'est donc avec l'aide d'Eric Vola et de Bernard Pegourié que j'ai continué ces pages sur notre vieille amie. Ci-dessous témoignages de Muriel Baldwin, Eric Vola, Jean Fabre. Un mot de P.Y. Doré, et quelques souvenirs perso (Denis Corpet) sont dans la page Denise Escande

Muriel (Gravina) Baldwin :
J'ai rencontre Denise a Chamonix apres avoir fait le connaissance de Robert Guillaume et Remi et Abigail deVivie en l'annee '61. J'etais professeur a l'Ecole Internationale de Geneve pendant les annees '60-'64.Je passais presque tous mes "weekends" a Chamonix pour grimper ou faire du ski.
Denise m'a fait la bienvenue dans son chalet, la Tirelire. Elle m'a aussi invitee en montagne. J'etais avec elle et ses compagnons sur l'aiguille de Roc/Grepon quand on a du "bivouacer" pendant un orage. C'etait en '63. Nous avons passe la nuit sur un relais miniscule, on se demandant comment on allait sortir le lendemain. Denise avait apercu que je frolais...alors elle a insiste que je prenne son chandail duvet pour la nuit. Comme elle etait genereuse ! Le lendemain les rochers devant nous etaient surgelees....mais nous avons reussis de sortir de la en montant...et apres on descendait par le glacier de Nantillons. En l'annee '62 il y avait d'autres expeditions rocheuses avec elle : la croix de Fer, avec Eric Vola et Habibe entre autres compagnons, et puis Mont Aiguille par Pilier Sud et Le Masque, vers Grenoble. Au debut de Novembre nous sommes allees dans les Calanques. Nous avons fait plusieurs voies avec Dominique Leprince Ringuet et autres copains pendant 3/4 jours merveilleux.
Denise essayait de corriger mon francais affreux. Je m'en souviens une fois que j'avais lui demander si elle avait de la morale ?? Comment peux tu la doubter ? dit elle. Dans toute ma vie j'ai eu de LA morale...mais de temps en temps il me manque un peu du moral... Enfin, j'espere que j'ai appris cet lecon !!! Je m'en souviens des diners chez elle, dans son chalet, la conversation vivante sur la montagne, son esprit joyeux, indomitable, genereux. La derniere fois que j'ai vu Denise, c'etait pour feter ses 80 ans dans le pre devant La Tirelire ....comme vous aujourdhui l'honorer pour sa vie. J'aurais bien aimer etre avec vous. Je serai la en esprit.....merci, Denise, pour tout.
Muriel (Gravina) Baldwin. le 12 septembre,2007.

Chamonix cimetière Cimetière de Chamonix, et pique-nique à la Tirelire
(les Moussoux), 15 Septembre 2007.
Récit par Eric Vola, qui écrit les 14 et 16 sept 07 à Jean Fabre, retenu au loin.


Chamonix, 14 Sept 07:
"Cher Jean,
La cérémonie commence demain à 11 heures. La plaque est du tonnerre : je l'ai placée avec l'ouvrier de la marbrerie cet après midi. Tiens-toi bien, elle est à côté de celle de Vincendon et Henry placé récemment par la Mairie de Cham ! "Elle" en sera sûrement satisfaite. C'est bien grâce à Vincent Couttet et à sa femme Claudine que la plaque pour Denise a été faite et a pu être placée sur le mur de Chamonix. C'est grâce à eux qu'il y a désormais un lieu sur cette terre portant le souvenir de Denise (car elle a donné son corps à la science).
Tout d'abord c'est Vincent qui en a eu l'idée: nous sommes allé ensemble voir le marbrier, il a choisi la pierre et a approuvé mon texte (corrigé par Jean Afanasieff). Avant cela il fallait obtenir une dérogation à la Mairie car seules les plaques des alpinistes tombés dans le massif y sont admises. Les familles Couttet sont avec les familles Ravanel les plus anciennes de la vallée (depuis le 13ème siècle !). Quelques 12 Couttet (et 14 Ravanel) cette année ont répondus à l'appel à la fête des guides de la compagnie de Chamonix. La demande de Vincent à la Mairie avait donc le poids nécessaire, car elle venait d'un Couttet et d'un guide brillant et créatif (inventeur d'un superbe descendeur/bloqueur qui sort cette année), et de surcroît, éminemment sympathique ! Vincent et Claudine se sont beaucoup occupés de Denise au cours des 20 dernières années. Je me souviens qu'un des premiers guides de Denise a été Fred Couttet: oncle de Vincent, il avait aidé à aménager "La Tirelire", en particulier l'astucieux système de couchage, et la fameuse échelle escamotable qui va au grenier.
Je lirais un texte de Pierre de Galbert qui est au Yémen et un autre de mon amie Muriel Gravina qui est en Californie avec 45 fautes de "française" en 20 lignes ainsi que le tien (= celui de Jean Fabre)...
Amitiés - Eric Vola"

Chamonix, 16 Sept 07:
"Cher Jean,
Tout s'est bien passé hier. Nous étions 35 (Esther nous a compté !).
Lorenne et sa fille Helena étaient là et auront représentés les Afanassief et les Fabre absents. J'ai lu l'inscription sur la plaque et là je suis très satisfait car je n'ai eu que des acquiescements. J'ai fait un historique sur Denise, les guides avec lesquels elle a grimpé ainsi que ses copains (liste à venir sur ce site), puis j'ai lu un texte émouvant de Pierre de Galbert ci-joint. J'ai fait lire ton texte par Vincent Couttet en expliquant bien qu'il serait publié en octobre prochain et enfin j'ai lu le texte joint de mon amie Muriel Gravina avec ses 45 fautes de français ce qui a bien détendu l'atmosphère. En plus, la plaque de Denise est très bien située (en haut du mur et à côté de la plaque commémorant la mémoire de Vincendon (qu'elle a connu) et Henry placée en janvier 2007.

Tirelire Moussoux Le pic nique à la Tirelire s'est très bien passé aussi. Les Pégourié, les nouveaux propriétaires de la Tirelire étaient là, et la Tirelire presque comme à l'époque de Denise : le jumelage du relais de l'échelle est toujours là ou il était ainsi que la bibliothèque et la plupart de ses livres et guides de montagne. Nous avons fait griller saucisses et merguez. La mère Moreau (l'ancienne patronne des troquets du Saussois et de Larchant) avait apporté de succulents pâtés et jambons. Nous n'avons manqué ni de bière (apporté par tonneaux par Vincent et Claudine Couttet) ni de bon vins dont certains des miens.
Chacun a pris des souvenirs que Denise avaient laissé dans mon chalet (livres de montagne, photos, pierres et bibelots). Pierre Lesueur (80 ans, bon pied, bon œil et avec le même accent des faubourgs parisiens qu'il y a 50 ans) était là avec sa femme, ses deux fils et une de ses petite filles (7 ans) qui a eu droit à la plupart des "bijoux" de Denise, ce qui lui aurait fait sûrement très plaisir. Même Bernezat a débarqué sur le tard car il partait avec une amie au Mont Blanc aujourd'hui.

Le lendemain, nous avons fait une "bambée" avec Gilles Bodin qui comme Lafleur n'a pas changé d'un poil (il a très apprécié ma cave, c'est le moins que l'on puisse dire !), Pierre-Yves Doré, Jean-Hervé Colle, Pierre Lesueur et un de ses fils, Jacques Alary et un de ses copains, en grimpant, chaque cordée en parallèle, dans une des voies sur le contrefort de l'Index, Manu Pulliti, Nez rouge et une troisième dont je ne connais pas le nom. Jean-Hervé a été mon Roux-Combalusier car je grimpais avec un doigt luxé (chute de VTT de ville il y a 5 jours) et la hanche droite presque bloquée (arthrose de "vieillard" précoce : je devrais en avoir une nouvelle hanche d'ici 3 semaines). Gilles n'arrêtait pas de dire qu'il entendait la voix de Denise et s'est mis à faire le porteur et instructeur d'un gamin de 8 ans, petit-fils d'Emile Allais, guidé par Gilles Ravanel (celui d'Argentière), son oncle . Les Lesueur étaient très contents, les Couttet aussi, en particulier, Aimé qui était très ému et a apporté des fleurs aux Pégourié en remerciement le lendemain. Voilà, je pense que nous avons fait plaisir à beaucoup d'amis de Denise et tu y aura participé par ton texte qui a été très apprécié.
- - - On lui devait bien çà ! Amitiés - Eric Vola (qui a commencé de son coté un site sur "le Grec", Georges Livanos)

Article Jean Fabre, tiré du journal du Syndicat des Guides Français, Octobre 2007

Denise Escande, « la Chibania »

Denise Escande a effectué son premier saut en parachute vers l’âge de 65 ans. Dans sa jeunesse (les années 30 et 40), elle avait reçu une éducation bourgeoise et surtout joué au tennis. Elle prétendait avoir croisé la raquette avec la célèbre championne Suzanne Lenglen (mais j’émets des doutes sur la vérité historique de cette rencontre sportive, car, dans ce que racontait Denise, il fallait, comme on dit vulgairement à Marseille, « en prendre et en laisser »).

La quarantaine passée, affligée d’un tennis elbow chronique, elle renonça aux « lobs », « passing-shots », « smashs » et autres « drives ». Mais comme il lui manquait une passion, elle décida de se tourner vers l’alpinisme. Enfin le mot est faible : disons que dans la deuxième partie de sa vie, elle épousa la montagne (comme une religieuse se marie avec Dieu) et ne vécut plus que pour elle.

Rien, a priori, ne la prédisposait à suivre un tel chemin, surtout à un moment de l’existence où la majorité des grimpeurs (ceux qui n’ont pas péri au fond d’un trou ou le crâne fracassé par une pierre) a déjà rangé depuis longtemps son piolet à la cave.

Elle était issue d’un plat pays, la Sologne, et aucun de ses ancêtres n’avait jamais eu l’idée farfelue de se pendre dans des rochers en y plantant des pitons. On ne peut donc pas supposer qu’elle ait suivi un exemple familial. Seule l’excentricité du personnage permet d’expliquer sa vocation tardive et imprévisible.

De petite taille (sa croissance s’était irrémédiablement interrompue à 1 m 55), elle suait, soufflait et vitupérait dans les marches d’approche. Séquelle d’un accident de la circulation (automobile), sa cheville droite avait de surcroît perdu toute mobilité. A une époque où le cramponnage en glace exigeait une torsion permanente des articulations de la jambe (la technique des « pointes avant » fut tardivement introduite en France), une rigidité aussi mal placée en aurait dissuadé plus d’une, mais pas Denise. En rocher, dans les passages trop athlétiques, il fallait souvent bloquer la corde pour lui permettre d’empoigner son pied droit à deux mains et le placer sur la prise souhaitée.

On aurait pu à la limite comprendre que, ne supportant pas son métier d’agent immobilier, elle tentât sa chance dans le cinéma. Elle ressemblait en effet à s’y méprendre à Groucho, le cadet des Marx Brothers. Au point d’ailleurs de devoir signer contre son gré des autographes dans les rues de Paris à des touristes américains convaincus d’avoir enfin rencontré leur comique favori.

Mais le succès en alpinisme n’obéit pas à des règles sportives vraiment classiques (ce qui le différencie notamment de l’escalade pure). On peut être bâti comme un athlète grec, manger du poisson et du chou tous les jours, faire des pompes, exécuter des grands-écarts et ne jamais réussir une course d’envergure. A l’opposé, on voit des gringalets, des fumeurs invétérés, des chauves avec des cernes sous les yeux, escalader des faces incroyables.

En haute-montagne, les qualités morales s’avèrent fondamentales : la détermination, l’acceptation du risque, l’instinct de survie. Une mécanique physique, aussi huilée et superbe soit-elle, ne fonctionne pas dés lors que la volonté vient à manquer.

Donc, si la nature n’avait pas doté Denise Escande d’un corps la prédisposant à la varappe ( souple, musclé, élancé ), elle lui avait en revanche transmis une force psychologique à toute épreuve. Lorsque le temps tournait à l’orage, quand des « pianos » vous frôlaient le crâne, quand un brouillard opaque obligeait à se blottir dans la neige, elle savait trouver le ton et les mots justes pour requinquer le moral en capilotade de ses compagnons de cordée (des hommes exclusivement, car Madame Escande, qui ne supportait pas les femmes en montagne- ni trop en plaine d’ailleurs - a toujours choisi des mâles pour la guider dans les grandes voies).

Denise n’ignorait pas la peur, n’était sans doute pas à l’abri du découragement, mais affrontait les dangers et dominait les situations les plus critiques sans laisser poindre la moindre émotion. Il y avait ainsi de l’élégance, de la noblesse dans la manière dont elle se comportait en altitude. Elle semblait ne jamais perdre son optimisme. Au temps où elle grimpait avec Jean Afanassieff, le guide avec lequel elle a sans doute réussi les itinéraires rocheux les plus ardus (dièdre Philip/Flam, Blandler/Hass, face sud du Fou), on surnommait le couple « Harold et Maud » et l’une de leurs premières dans la pointe Lachenal a été baptisée ainsi. Jean, c’était le jeune homme du film, dépressif, aux velléités suicidaires. Denise, la grand-mère débordant d’espérance et de joie de vivre.

Pourtant tous ceux qui ont vécu des aventures sur les cimes avec la « vioque » (c’est de cette manière peu respectueuse que nous la qualifiions) se sont plaints d’un défaut majeur : elle ne cessait de parler (de l’aurore jusqu’au couchant, sur les sentiers, dans les refuges et même pendue à des étriers avec mille mètres de vide en dessous). Le moulin à parole ne cessait de fonctionner qu’au bivouac, quand Morphée le prenait dans ses bras, sauf qu’alors, hélas, s’échappaient de ses narines des ronflements de soudard. Seule « Popo », l’équivalente pyrénéenne de Denise, pouvait égaler son débit verbal.

Au même titre que la marquise d’Albertas ou Claude Cogan , et avant l’ère des Simone Badier , puis des Catherine d’Estivelle, Denise Escande peut être considérée comme une authentique pionnière de l’alpinisme féminin. Elle fut notamment la première du sexe faible (cette expression ne s’emploie plus) à gravir la face ouest des Drus (voie Magnone/Bérardini) et la seconde (après peut-être Yvette Vaucher- je ne sais plus-) à escalader la Walker. A la fin des années soixante, aucune femme ne possédait dans les Alpes un tel palmarès. Elle avait quasiment tout ratissé : du pilier Bonatti à la Comici, en passant par la Poire et la face ouest des petites Jorasses. La corde l’avait reliée à des alpinistes aussi confirmés que Dominique Leprince Ringuet, Robert Guillaume, Eric Vola, des guides aussi célèbres que Marcel Burnet, JL Bernezat, Pierre de Galbert, Claude Jaccoux, voire même Gaston Rébuffat.

J’ai croisé Denise à la fin des années soixante dix. Je n’avais pas encore 30 ans, mais, elle, déjà soixante cinq bien sonnés. Plus elle vieillissait, plus elle se montrait exigeante. Elle ne supportait plus les vieux guides. Minotaure féminin, il lui fallait de la chair fraîche, de jeunes éphèbes grimpants issus de l’élite, à des fins strictement sportives, s’entend. Elle était venue me rejoindre au Maroc, l’ego émoustillé par la promesse d’alléchantes premières dans les gorges du Todra. A l’époque, le coin était désert. Point de 4/ 4, de spits, ni de combinaisons fluos. Nous avions débarqué à la tombée de la nuit dans une vague cabane tenant lieu d’auberge. Le patron et ses copains sirotaient du thé à la menthe en écoutant le coassement des grenouilles. Ils s’étaient étonnés de voir débarquer entre chien et loup un jeune roumi avec une grand-mère, mais n’avaient pas enfreint pour autant les lois de l’hospitalité berbère : tagine de mouton sur fond d’instruments à cordes. Des sourires narquois, trahissant une totale incrédulité, s’étaient cependant inscrits sur les visages quand j’avais tenté d’expliquer en « tamazirt », le patois local, les raisons de notre déplacement dans ce « ksour » : avec la dame aux cheveux blancs nous partagerions ce soir la même chambre, déployant nos duvets sur les hauts tapis de laine (il n’y avait évidemment pas de lits) et demain nous escaladerions les parois en enfonçant des tiges en fer dans la caillasse. Aux yeux de ces montagnards, pour qui la récupération de brebis égarées constituait la seule justification à une prise de risque dans le djebel ( sinon, il fallait être cinglé ! ), mon discours fumeux masquait une réalité autrement plus salace : je « m’envoyais » évidemment la « Chibania » ( c’est ainsi que l’on qualifie les femmes âgées en arabe ) et elle devait sans doute me payer fort grassement ce service. Le lendemain, après avoir aperçu la vieille suspendue dans les surplombs, ils nous ont accueilli au sommet de la paroi comme des extra-terrestres. Denise est peut-être devenue l’un des marabouts locaux et la voie de la « Chibania » l’immortalise.

Je puis me flatter aussi de l’avoir guidée, en compagnie de Guy Abert , dans sa dernière grande course, la face sud de la Gugliermina. Elle avait 70 ans. Il nous a fallu deux bivouacs, un à la montée, l’autre à la descente. L’année suivante j’ai tenté de l’emmener au Pilier Rouge du Brouillard, mais la tempête nous a contraint dès les premières longueurs à un repli stratégique vers le refuge Eccles.

Denise a continué à grimper avec d’autres guides, Dominique Marchal, Vincent Couttet, jusqu’à l’âge de 76 ans. Elle est décédée au mois de mai 2007 et a fait don de son corps à la science. Requiescat in pace

Jean Fabre. Mai 2007.

Témoignage sur ses dernières années par Michel Bordet, Guide (.pdf, 2013)

Je suis prêt à ajouter sur ce site VOS textes et photos sur Denise Escande (mon mail en bas de page Denis)

Denise Escande - (C)Corpet déc.2007 - MàJ Juillet 2013