Aliments & Santé - Nos enfants nous accuseront-ils ?

Risques Bénéfices Aliments - Aliment bon ou mauvais ?
par Denis Corpet, 1 juillet 2010

Certains aliments sont bons. Bon pour la santé, sain, "healthy & safe" / D'autres sont "mauvais": ils seraient dangereux, toxiques.

Chacun essaye de manger plus d'aliments bons, et d'éviter ceux qui sont mauvais : c'est intelligent ! Mais Noir ou Blanc, la réalité n'est pas comme ça ! Les cow-boys des westerns n'étaient pas des saints, ni les indiens des démons !
Ma collègue, Nicole Darmon, a mis au point l'excellent système SAIN & LIM pour évaluer "le bon ET le mauvais" des aliments. Mon ambition ici n'est pas de faire mieux qu'elle, mais de présenter quelques aliments qui sont à la fois bons et mauvais. Trois aliments avec des bénéfices évidents (bon score SAIN) mais avec des dangers potentiels que LIM ignore (épinards, steak maigre, saumon), et un aliment dont le risque est complétement "imaginaire" (pommes).
J'indique mon opinion personnelle sur "la balance" bénéfice/risque, en indiquant combien de fois j'en mange par semaine (en gros !). Sachant que je n'ai pas les mêmes besoins qu'un adolescent ou qu'une femme enceinte !
En bas de page, quelques pistes de recherche sur cette "science" des risques-bénéfices alimentaires.

Epinards : L'épinard est presque l'aliment idéal (pour moi) car il apporte beaucoup de nutriments pour très peu de calories. Vitamine B9 (acide folique anti-crise-cardiaque, anti-vieillissement cérébral, anti-cancer col utérus), fibres, calcium, toutes les vitamines B, lutéine (anti-DMLA), .
MAIS les épinards sont bourrés d'acide oxalique (comme l'oseille, le pourpier, ..) qui ressort dans l'urine, et qui risque de former des "calculs" d'oxalate de calcium. Ce sont des petits cailloux (ou du sable) qui sont atrocement douloureux quand ils descendent du rein à la vessie, donnant les coliques néphrétiques. Heureusement on peut bloquer l'acide oxalique dans l'intestin, empêchant son absorption, en mangeant au cours du même repas un aliment riche en calcium (sardines, gruyère, yogourt.): l'oxalate de calcium précipite dans le tube digestif et partira directement dans les WC. (je mange des épinards ou du pourpier, au moins deux fois par semaine, beaucoup)

Steak maigre (5% MG) : la viande rouge et le foie sont les aliments qui apporte le plus de fer, et sous une forme bien assimilable (c'est l'hème). Or beaucoup de gens sont carencés en fer (en France, les jeunes filles et les femmes, surtout). De plus la viande apporte d'excellentes protéines, et la vitamine B12, nécessaire pour la fabrication des globules rouges, et absente des végétaux.
MAIS ce fer de la viande, nécessaire, semble favoriser le cancer colorectal, premier tueur parmi les cancers. Il est donc utile d'en manger, mais pas trop (je mange du steak ou du foie tous les 15 jours, mais une femme devrait en manger une ou deux fois par semaine car ses besoins en fer sont le double de ceux d'un homme)

Saumon (et autres poissons gras) : les poissons gras nous apportent d'excellents acides gras, les omégas-trois à longue chaine (DHA, EPA), indispensables au développement du cerveau et de la rétine, et excellents pour le coeur et les artères. Ces bons lipides protègent probablement aussi contre certains cancers, et contre le vieillissement du cerveau.
MAIS les poissons, surtout les gros poissons (thon, espadon, requins), accumulent des polluants toxiques dans leur chair: mercure, PCB, dioxine. C'est surtout le mercure qui peut vraiment être toxique pour l'enfant encore in utero: à Minamata, les femmes des pêcheurs ont eu des enfants gravement atteints (plus de 2000 cas reconnus), à force de manger le poisson pollué par les rejets de l'usine voisine. (je mange du saumon une fois par semaine, et sardine ou maquereau une ou deux fois par semaine. Une femme enceinte devrait à mon avis faire pareil, mais PAS manger de thon, ou très peu).

Pommes (et autres fruits et légumes). La consommation de fruits et de légumes est bénéfique pour un grand nombre de raisons, la première étant que ces aliments sont peu caloriques (à quelques exceptions près) et apportent beaucoup de nutriments et de "phytochemicals" (= molécules non nutritives mais probablement utiles contre certaines maladies).
MAIS certaines personnes ont peur des pesticides dans les fruits ou les légumes. Le risque pour la santé humaine des infimes résidus de pesticides qu'on trouve sur les fruits et les légumes vendus en France est insignifiant et l'on n'a jamais observé un quelconque effet sur quelqu'un. Il est donc inutile de manger "bio" pour être en bonne santé. Cependant, c'est un choix philosophique ou politique qui est raisonnable, si l'on pense que l'utilisation abusive des pesticides nuit à la biodiversité et "abîme" la Terre. (je mange beaucoup de fruits et de légumes, mais pas "Bio")

IL y a des dizaines d'autres exemples de bon ET mauvais, et je les développerai un jour ici, en voici une première liste: Pumpernikel bread ou Vollkornbrot (+ très faible Index Glycémique / - mycotoxine ergot de seigle), les noix du Brésil (+ sélénium / - barium), gruyère (+ calcium et protéines avec leucine / - graisses saturées), vin rouge (+ protection cardio-vasculaire / - favorise certains cancers),

Risque-Bénéfice Alimentation, pistes de recherche
Réflexions de Denis Corpet 30/06/10

Risques-Bénéfices de l'Alimentation, ça peut vouloir dire des choses très différentes, notamment en matière de recherche. Voici quelques pistes possibles :

1- PPCA-research - Partir d'un toxique alimentaire et de son effet toxicologique et chercher des antidotes alimentaires.
Exemple: viande rouge promotrice cancer colorectal, calcium & antioxydants antidotes (c'est le thème de recherche de mon équipe INRA-ENVT, "Prévention et Promotion de la Cancérogenèse par les Aliments". Voir les publications de F.Pierre & D.E.Corpet)

2- Food-Mét@risk - Intégrer des données existantes pour évaluer si un aliment est "bon" ou "mauvais", s'il vaut mieux éviter d'en manger, ou au contraire en manger plus souvent.
Exemples simples: poissons gras contaminés par le mercure, pommes contenant du captan. Résultats: recommandations sur fréquence mini et maxi de consommation par semaine (c'est le thème de recherche de l'équipe INRA Métarisk, voir les publications de Ph.Verger)

3- Nutrient-window - Intégrer des données existantes pour évaluer la fenêtre de bénéfice d'un nutriment (dose mini nécessaire / dose maxi sans risque), et plus finement, la fenêtre de bénéfice fonctionnel d'un nutriment (doses mini/maxi pour bénéfice fonctionnel):
Exemples simples = sélénium, vitamine D. Résultats: doses seuils min & max par kg PV (cf. articles de Andreu Palou, U.Baléares)

4- Diet-footprint - Générer des données de métabolomique sur des animaux recevant des régimes contrastés (soit bénéfiques, soit à risque) pour chercher une "signature" du bénéfice et une signature du risque, qui pourraient ensuite être utilisées comme "biomarqueurs" prédictifs, notamment pour justifier des allégations santé de nouveaux aliments ou suppléments.
Exemple: Rongeurs nourris saumon-épinard / vs steak-frites. mais on voit bien que ce ne sera pas évident à faire, et encore moins à interpréter (idée donnée par Alain Paris)

5- Nutrinet-cohort - Partir d'une cohorte, avec des alimentations contrastées associant à la fois des nutriments intéressants et des toxiques potentiels, mesurés par les questionnaires alimentaires, et/ou par des biomarqueurs sanguins. Observer les maladies qui résultent. Proposer un modèle statistique prédictif. Exemple: mangeurs très Bio / pas du tout Bio // mangeurs très Carnivore / très Végétarien // Gros mangeur de calories / mangeur de peu de calories. (recyclage d'une idée de Denis Corpet, implémentée dans le projet K-pestépi)

6- SAIN & LIM- Nicole Darmon (pas Darmont), propose un excellent système pour évaluer à la fois "le bon ET le mauvais" des aliments . Ce système simple et universel, est destiné à établir les profils nutritionnels pour l'autorisation des allégations santé en Europe. Le calcul du SAIN ne tient compte que de 5 "bons" nutriments, de leur niveau par rapport aux Apports Nutritionnels Conseillés (protéines, fibres, vitamine C, calcium, fer), et leur densité par rapport aux calories. Le calcul du LIM ne prend en compte que du sel, des graisses saturées, et du sucre ajouté. N.Darmont à montré qu'on gagnait assez peu en rajoutant des nutriments dans le calcul.